Copie du Journal de Faim et Développement

N°129 Février 1997

LAOS

LES FRUITS DE LA PASSION

Au cœur de la péninsule indochinoise, des paysans s'organisent pour transformer les fruits, abondants dans la région, en confitures et jus de fruits. Expédiés jusqu'en Europe, ces produits leur procurent un complément de revenus appréciable.

Chaque cuillerée de confitures du Laos que vous dégustez n'est pas seulement un délice : elle fait de vous le participant actif d'une longue chaîne de développement ! Celle-ci commence dans une zone de montagne, à Kasi, au nord de Vientiane, parmi des populations agricoles traditionnelles, décidées à s'organiser pour ne pas seulement survivre. Dans ces contrées humides et chaudes, pamplemousses, ananas, et tamarins poussent à l'état naturel. Pas de plantation organisée, mais plutôt une activité traditionnelle de cueillette, souvent destinée aux animaux. Les ressources existent donc : c'est leur mise en valeur, l'organisation de circuits de commercialisation, l'accès aux technologies et aux crédits, qui font défaut. L'association pour le soutien au développement des sociétés paysannes

L' ASDSP, animée par des Laotiens, s'est attachée à lever ces obstacles, en apportant ses conseils et l'appui de ses partenaires (CCFD, Sidi, entre autres). Avec l'aide de l'ASDSP, la coopérative des paysans du district de Kasi a ainsi organisé la collecte et la première transformation des fruits.

Première étape : la collecte. Rémunérée au poids, elle fournit un revenu monétaire d'appoint aux petits paysans. Cette activité est bien sûr saisonnière, mais l'apport financier n'est pas négligeable, car ici l'activité économique ne se mesure pas uniquement en emplois, au sens où nous l'entendons en Occident, mais surtout en revenus.

La valorisation des fruits, et en particulier des arbres fruitiers, permet également de résister à un phénomène de déforestation encouragé par les puissants voisins thaïlandais, avides de trouver, chez leur voisin, le bois qu'ils n'ont plus sur leur sol.

Deuxième étape de la chaîne : l'épluchage des ananas, leur cuisson et la transformation en mélasse. Une variante s'offre avec le pressage des fruits et la stérilisation des jus (ces jus d'ananas sont commercialisés en France dans les boutiques Artisans du monde). Ces deux activités mobilisent une trentaine de salariés de la coopérative, qui sont fiers de posséder la seule centrifugeuse du Laos, un cadeau du lycée agricole de Pontivy !

Troisième étape : la transformation finale, le conditionnement et la commercialisation. Ces opérations sont réalisées, à Vientiane, par la société Lao Farmers Products, montée grâce à des financements de la diaspora laotienne, et qui s'est spécialisée dans la commercialisation, au Laos et dans les pays limitrophes, de produits de conserve.

C'est dans ses ateliers, sous le contrôle du responsable de production, un jeune vétérinaire laotien, que la mélasse, convoyée depuis Kasi, est transformée en confiture... 15 personnes travaillent dans les ateliers, pour un salaire équivalent à 2 fois le smic laotien. Les bâtiments, et la "salle blanche" où des jeunes filles conditionnent manuellement les pots, sont neufs.

De novembre 1995 à juillet 1996, 40 000 pots de confiture, et 25 000 bouteilles de jus de fruits sont sortis de l'atelier, alors que rien ne prédisposait le Laos à se doter d'activités de transformation agroalimentaire. Peu peuplé (2), enclavé, et surtout entouré de puissants et "attentifs" voisins, le pays a du mal à sortir du communisme toujours au pouvoir. Un contexte qui explique que la mise sur pied de cette petite filière de transformation des fruits fait figure d'innovation, et vaut à cette initiative privée les félicitations du gouverneur de la Banque centrale de Vientiane !

Pourtant, rien n'est vraiment fait pour faciliter la vie de ce projet, et il faut toute la ténacité de ces hommes et de ces femmes, qui de Vientiane à Kasi, établissent une chaîne de confiance, pour vaincre les tracasseries et les dures lois du commerce. Par exemple, si quatre personnes sont affectées à la collecte locale des verres usagés, l'entreprise doit aussi se procurer les bocaux par d'autres moyens, or le fournisseur thaïlandais avec lequel elle travaillait a refusé de continuer à lui vendre des verres d'occasion, imposant ses produits neufs et ses prix.

Le marché laotien étant, on l'a vu, trop restreint, il a fallu, dès le départ, viser l'export. C'est ici qu'intervient le quatrième et dernier maillon de notre chaîne de solidarité : l'ouverture au marché européen. Elle a été l'occasion, pour les acteurs de ce projet, de surmonter d'autres difficultés : les produits importés en Europe sont soumis à des normes strictes d'hygiène et de qualité, auxquelles Lao Farmers Products a dû se conformer, d'où l'organisation sanitaire incluant une salle blanche et un contrôle- qualité irréprochable.

Plus délicate fut la question du crédit : pour payer le petit paysan de Kasi, acheter la pectine, indispensable à la gélification de la confiture, et les pots en verre, il faut un fonds de roulement, qui augmente au fur et à mesure que l'activité se développe.

Des facilités de préfinancement des commandes ont été mises en place par Solidar' Monde (3), qui importe ces produits en France. En juillet 1996, une mission de la Sidi (4) est venue étudier, avec l'ASDSP et la Banque centrale laotienne, la mise en place d'une institution de crédit de type coopératif, auprès de laquelle l'activité de transformation des fruits pourrait se financer à des taux acceptables. Cette coopérative de crédit a reçu l'agrément des autorités en novembre. Avec les confitures de Kasi, la mondialisation prend un goût moins amer!

Jean-Jacques Tartinville

 

DE KASI A PARIS

Dans la région de Kasi, les paysans font la cueillette saisonnière des fruits qui poussent à l'état naturel.

 

Une fois cueillis, les ananas sont épluchés, cuits, et transformés en mélasse par la coopérative de Kasi.

 

Expédiée à Vientiane, la mélasse est transformée en confiture, et conditionnée dans les ateliers de Lao Farmers products.

 

Solidar' Monde importe ces produits en France et les commercialise, via le catalogue du CCFD et les boutiques Artisans du monde.

(1) Ces confitures sont en vente dans le catalogue Noël du CCFD (p. 60), et dans les boutiques Artisans du Monde.

(2) 4,8 millions d'habitants, soit une densité de 20,6 contre 226 au Vietnam...

(3) Solidar' monde est une centrale d'achat spécialisée dans le commerce équitable, constituée par le CCFD et la fédération Artisans du monde.

(4) Société d'investissement et de développement international, filiale du CCFD spécialisée dans l'appui au crédit pour les petites entreprises du tiers monde.

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ÉQUITABLE: MÉMENTO

1964 - Lors de la première réunion de la Cnuced, les pays du Sud insistent sur la nécessité d'échanges justes ("traid but not aid").

1969: Le premier Magasin du monde est ouvert aux Pays-Bas.

1974 : Création en France de la fédération Artisans du monde.

1984 : Création, par 7 Ong et associations françaises, de la centrale d'achat Solidar' Monde.

1990 : Création de l'Association européenne de commerce équitable (EFTA), regroupant 13 organisations d'importation implantées dans 10 pays.

En 1995, le commerce équitable représentait un chiffre d'affaires européen de 1,3 milliard de F, diffusant des produits en provenance de 550 groupements de producteurs, répartis dans 44 pays, soit 800.000 familles bénéficiaires (5 millions de personnes), dans les pays du tiers monde (source : EFTA, Mémento du commerce équitable 1995).