LES CHEMINS DU DEVELOPPEMENT

F D M 1 7 0 - 1 7 1 / OCTOBRE - NOVEMBRE 2001

Association de soutien pour le développement

des sociétés paysannes (ASDSP)

Des fruits et des hommes

Il ne suffit pas que la nature soit généreuse pour que les hommes vivent bien. Encore faut-il qu'ils puissent s'organiser et qu'ils trouvent leur place dans l'économie pour que leur sort s'améliore. Histoire exemplaire d'une coopérative de paysans.

Une initiative qui s'appuie sur une base paysanne peut permettre à des milliers de familles d'améliorer leur niveau de vie.

L'aventure commence en 1986, à Kasi dans le nord du pays. À l'image de ce 'pays agricole de cinq millions d'habitants, cette région de moyenne montagne est très pauvre. Elle a été durement touchée par les années de guerre (1), les bombardements et les déplacements de population. À la fin des années 80, elle n'est pas totalement pacifiée, l'ethnie des Hmongs s'opposant toujours au gouvernement. Sa population ne survit alors que grâce à la riziculture. Enclavée, la région de Kasi est desservie par une simple piste et ses habitants n'ont ni eau potable, ni électricité. Elle est pourtant dotée d'un véritable potentiel hydraulique et agricole : pamplemousses, oranges, pousses de bambou, champignons... prolifèrent à l'état sauvage sous ce climat tropical. Des produits que la population utilise pour ses besoins propres, mais ne pense pas à commercialiser.

Avec quelques amis décidés comme lui, " à faire quelque chose pour leur pays ", Sengdao fonde l'Association de Soutien pour le développement des sociétés paysannes (Asdsp). Leur idée paraît simple : exploiter ce potentiel agricole et diversifier la production en s'appuyant sur le savoir faire des paysans. Quelques années auparavant, Sengdao avait déjà travaillé dans cette région, alors qu'il était directeur d'une usine d'aliments de bétail à Vientiane. Il avait alors incité les paysans de Kasi à produire du maïs pour son usine et avait noué avec eux des contacts forts. Il est persuadé qu'en travaillant en étroite collaboration avec les villageois, en les formant, ils pourront rapidement se prendre en charge et devenir les acteurs de leur propre développement.

Pour donner une assise solide à ce projet de développement local, la petite équipe choisit de s'appuyer sur les autorités villageoises qui gardent un rôle important dans l'organisation de la société laotienne. C'est donc en plein accord avec les chefs de village, élus par la population, qu'elle se lance. Mais les fonds manquent cruellement. Contacté par Sengdao, qui a fait ses études supérieures en France, le Ccfd accepte de soutenir financièrement ce projet.

En quelques années, grâce à l'irrigation et aux micro-barrages construits par les paysans eux-mêmes, la région devient le premier producteur du pays de maïs, de pastèques et de cacahuètes. Pour écouler ces produits, l'association se lance alors dans la création de la première société agro-alimentaire laotienne : Lao Farmer's Products. Elle permet aux paysans de vendre leurs produits à des prix décents et crée des emplois. La petite unité de production de jus de fruits de Kasi emploie par exemple une trentaine de jeunes filles. " C'est une véritable chance pour elles de travailler ici, explique le responsable d'atelier. Car dans cette région, il n'existe aucune formation professionnelle, aucun débouché pour les jeunes ".

Mais la commercialisation s'avère très difficile sur un marché intérieur étroit et envahi par les produits " made in Thailand ". Une invasion que déplore Sisaliao, le président de l'association. " Les Laotiens ont pris l'habitude de consommer thaïlandais, il faudra plusieurs années pour qu'ils découvrent la qualité de nos produits, fabriqués sans aucun engrais chimique, ni pesticide. " Face à cette concurrence agressive, la petite association n'a évidemment pas les moyens de mener une politique commerciale. Pour conquérir les consommateurs, elle ne peut que jouer sur sa différence : des produits naturels, dont la qualité est constamment vérifiée en laboratoire, mais aussi des produits différents, confitures, pâtes de fruits dont les recettes sont puisées dans la tradition culinaire française.

Une nouvelle fois, les liens noués avec l'Europe seront déterminants pour élargir les débouchés de la petite entreprise. Contactée par Lao Farmer's Products, la centrale d'achats Solidar'Monde décide, après une visite sur place, d'acheter une partie de la production en offrant aux petits producteurs laotiens, de nouveaux marchés grâce au commerce équitable. Aujourd'hui, Lao Farmer's Products vend environ 60 % de ses produits sur le marché intérieur, et 40 % en Europe.

Depuis, pour aider les petits paysans à diversifier leurs activités (petits commerces, élevage) l'association a monté une coopérative de crédits. " Les épargnants déposent

en moyenne cinq francs par mois, explique son président. Aucune banque n'accepterait d'aussi petits dépôts et ne prêterait à des gens aussi pauvres. Dès que les paysans ont déposé 30 % de la somme qu'ils souhaitent emprunter, ils obtiennent leur crédit. "

Cette institution financière à caractère mutualiste est soutenue par la Sidi qui a pris le relais du Ccfd. Aujourd'hui, cette initiative portée à bout de bras durant des années, a essaimé à travers tout le pays. Elle commence à faire parler d'elle. La presse laotienne la cite en exemple. La preuve qu'une initiative citoyenne, qui s'appuie sur une base villageoise et paysanne, peut permettre à des milliers de familles d'améliorer leur niveau de vie. Même les autorités, rétives au départ face à une organisation indépendante, ont pris conscience de l'impact de cette entreprise sur le revenu des petits paysans.

Hélène Jullien

La Sidi (Société d'investissement et de développement internationale) a été fondée en 1983 à l'initiative du Ccfd. Le capital de la Sidi est détenu à 40 % par le Ccfd.

Dix ans après

Le Ccfd a soutenu à partir de 1991, le Projet de développement intégré dans la zone montagneuse de Kasi. Ce partenariat initial, cofinancé notamment par l'Union européenne s'est poursuivi, à partir de 1996 avec le soutien à l'un des volets du programme concernant la création de micro-barrages pour l'irrigation. Parallèlement à partir de 1996, Solidar' Monde, centrale d'achats de produits issus du commerce équitable en France, a commencé la diffusion des productions du Laos Farmer's product. De son côté, la Sidi a entrepris de contribuer à la structuration d'une activité de micro-crédit. De 1996 à 2000, six caisses d'épargne-crédit ont été créées dans tout le Laos à commencer par Vientiane où s'est constituée la première institution de micro-crédit du pays. Trois nouvelles caisses sont en cours de création et la Sidi participe aujourd'hui à l'élaboration d'un cadre juridique pour les activités de micro-crédit au Laos. >